4. La vieille dame sous «protection»

Rédaction de Mediapart

Le bas de laine qu'incarne Liliane Bettencourt est faramineux. Ceux qui ont pour mission de le faire fructifier ne semblent pas prêts à le lâcher, le moment venu, au profit d'une fille unique devenue honnie. Tout à leur obsession d'avoir un coup d'avance dans leur course contre la montre engagée avec l'héritière, ces défenseurs de la veuve et surtout pas de l'orpheline poursuivent un projet retors, qui aliène Liliane: un mandat de protection future, c'est-à-dire un licou du destin...

25 mai 2009

Fabrice Goguel, avocat fiscaliste de Liliane Bettencourt, expose à celle-ci un projet qui tient à cœur à Patrice de Maistre, son gestionnaire de fortune. Un mandat protecteur... L'enjeu est d'éviter qu'un jour ou l'autre, la fille de Mme Bettencourt, Françoise Meyers-Bettencourt, ne prenne le dessus. Il est donc envisagé qu'en cas de perte de capacité de Liliane Bettencourt, le professeur Gilles Brücker pour l'aspect «personnel et médical» et le gestionnaire de fortune Patrice de Maistre pour «les affaires» soient assurés de maîtriser la situation:

Audio

«Si un jour vous étiez malade...»

3 juillet 2009

L'avocat fiscaliste reparle à la vieille dame (née le 21 octobre 1922) de ce mandat que son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, semble pressé de lui faire signer:

Audio

«Je n'ai aucune envie que vous tombiez dans les pattes de votre fille»

7 septembre 2009

Patrice de Maistre trouve Liliane Bettencourt en pleine forme au retour de ses vacances à l'Arcouest en Bretagne. Il glisse très vite quelques mots essentiels sur le mandat qu'il espère à venir:

Audio

«Si votre fille revient à la charge...»

9 septembre 2009

Deux jours plus tard, Patrice de Maistre débarque chez la milliardaire avec le notaire, Me Normand, et l'avocat, Me Kiejman. L'enjeu est toujours ce mandat, une parade qui est au cœur du conflit judiciaire opposant la fille à la mère, ou plutôt la fille à l'entourage de sa mère. La procédure engagée par Françoise Meyers-Bettencourt concerne en effet l'abus de faiblesse dont Liliane Bettencourt serait victime. Dans cet échange, Me Georges Kiejman, en fin plaideur, épaule le gestionnaire de fortune pour présenter le mandat sous son jour le plus rassurant: «Dans le présent, ça n'a aucune portée», insiste-t-il, précisant à Mme Bettencourt qu'elle pourra récuser Patrice de Maistre si, demain, il n'a plus sa confiance. Liliane Bettencourt finira par refuser tout net de signer le document qu'avait préparé le notaire, affirmant n'avoir pas été informée d'un tel projet.

Audio

«Madame, je vous explique»

4 mars 2010

Le mandat de protection future a finalement été signé. Patrice de Maistre entreprend désormais sa possible future protégée octogénaire, au sujet d'un nouvel acte: sa désignation, cette fois, comme tuteur. La conversation se termine sur le cas d'une ancienne secrétaire d'André Bettencourt licenciée – «On l'a renvoyée», dit Patrice de Maistre –, comme d'autres membres du personnel le furent depuis le décès, fin 2007, du mari de Liliane, pour avoir pris le parti de leur fille, Françoise Meyers-Bettencourt:

Audio

«Désignation de M. de Maistre comme tuteur»

12 mars 2010

Le notaire, Me Normand, est de retour, en tête-à-tête avec Liliane Bettencourt, avec toujours la même idée lancinante: le mandat de protection future, qui «a été signé il y a quelques mois», précise-t-il, et la désignation d'un tuteur pour renforcer ce mandat. Cette conversation commence par une plaisante et lucide réflexion de Liliane Bettencourt: «C'est très agréable d'avoir de l'argent, mais faut pas se laisser trop faire. Sinon on devient maboul»:

Audio

Le bas de laine qu'incarne Liliane Bettencourt est faramineux. Ceux qui ont pour mission de le faire fructifier ne semblent pas prêts à le lâcher, le moment venu, au profit d'une fille unique devenue honnie. Tout à leur obsession d'avoir un coup d'avance dans leur course contre la montre engagée avec l'héritière, ces défenseurs de la veuve et surtout pas de l'orpheline poursuivent un projet retors, qui aliène Liliane: un mandat de protection future, c'est-à-dire un licou du destin...

Deux décisions de justice ont validé le travail d'information de Mediapart depuis le début de l'affaire Bettencourt. Devant le tribunal de grande instance de Paris, puis devant la cour d'appel de Paris, Liliane Bettencourt et son gestionnaire de fortune, Patrice de Maistre, ont demandé en référé le retrait de nos premières révélations, estimant qu'elles portaient atteinte à l'intimité de la vie privée puisqu'elles s'appuyaient sur les enregistrements clandestins réalisés par l'ancien maître d'hôtel de Mme Bettencourt. Le 1er juillet, en première instance, puis le 23 juillet, en appel, les juges parisiens ont clairement rejeté cette demande, estimant que notre travail était

«d'intérêt public».

Le jugement du tribunal de Paris précisait que nos révélations relevaient «de la publication d'informations légitimes et intéressant l'intérêt général». Confirmant le jugement de première instance, l'arrêt de la cour d'appel de Paris défend «la légitime information du public»: «Les informations ainsi révélées, concluait la cour, qui mettent en cause la principale actionnaire de l'un des premiers groupes industriels français, et dont l'activité et les libéralités font l'objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public; il en est a fortiori de même lorsque ces informations concernent l'employeur de la femme d'un ministre de la République, alors trésorier d'un parti politique.»

Via leurs avocats, Liliane Bettencourt et Patrice de Maistre ont cependant déposé un recours en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel.

Favorables à la liberté de l'information, ces décisions de justice ont donné acte à Mediapart du sérieux et de la rigueur de son travail journalistique. Depuis notre premier article du 16 juin révélant les enregistrements clandestins, nous avons pris le soin d'expliquer notre démarche en ces termes: «Après avoir pris connaissance de l'intégralité de ces enregistrements, Mediapart a jugé qu'une partie consistante de leur contenu révélait des informations qu'il était légitime de rendre publiques parce qu'elles concernaient le fonctionnement de la République, le respect de sa loi commune et l'éthique de ses fonctions gouvernementales. Nous avons bien entendu exclu tout ce qui se rapportait de près ou de loin à la vie et à l'intimité privées des protagonistes de cette histoire. Nous nous en sommes tenus aux informations d'intérêt général. Figurent donc dans ces verbatims les seuls passages présentant un enjeu public: le respect de la loi fiscale, l'indépendance de la justice, le rôle du pouvoir exécutif, la déontologie des fonctions publiques, l'actionnariat d'une entreprise française mondialement connue.»

C'est la même démarche qui a prévalu dans la sélection des enregistrements mis en ligne avec notre nouvelle série qui revisite les origines de l'affaire Bettencourt. N'ont été retenues dans ces enregistrements, premières pièces à conviction des enquêtes judiciaires en cours, que les informations d'intérêt public, dévoilant, éclairant ou expliquant de potentielles infractions en train de se commettre.

Más sobre este tema
>